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Île Bonaventure

Voyagez en Gaspésie > L''île Bonaventure

Ce soir-là, je regardais le ciel mauve foncé qui découpait le rocher en ombres incertaines sur l'eau comme si quelqu'un les avait éparpillées pour ensuite les oublier. Quel ravissement! 

Nous avions, mon père et moi, fait un feu sur la grève et pendant qu'on discutait avec les pêcheurs, je restais à regarder les quelques braises rougeoyantes. Une étoile filante vint me distraire, laissant derrière elle la lumière de ses millions d'années et elle disparut comme si elle n'avait jamais été. Je fis un voeu, certaine d'être exaucée. Papa, à cet instant, plaidait ma cause. Je retenais mon souffle. La grosse voix du capitaine arriva jusqu'à moi:

  • Elle peut venir, dit-il, mais êtes-vous certain qu'elle ne dégueulinera (1) pas dans mon bateau?
  • Ma fille a le pied marin, répondit papa avec assurance.

Affairé à remplir sa goélette de toutes sortes de gréements, bourru, il ajouta:

  • Nous partons à la barre du jour. Fret (2), pas fret, y mouille (3) ou y mouille pas.

J'aurais voulu dormir sur la plage, près des filets, ou à bord près de la grande voile, enveloppée dans le froc usé que le capitaine avait remis à papa pour me protéger de l'air matinal.

La Pêche

Le vent ridait l'eau et le clapotis des vagues léchait la barque. Il faisait encore nuit et seule une mouette matinale vint assister à notre départ.

  • Vous pesez trois plumes, avait marmonné le matelot; votre place est à l'avant. Quand vous verrez se tendre votre filet, tirez.
  • Chu sartin (4) qu'elle sait pas pêcher, finit-il par marmonner en s'éloignant, la bouche emprisonnée dans sa barbe toute échevelée.

Je priai en silence que la pêche soit bonne, les yeux rivés sur le filet. Enfin! Je le vis se gonfler, se tendre ... j'étais exaucée. Sans aide ... ou presque, je ramenai les bars argentés dans la barque sous le regard admiratif de mon père. J'avais réussi. Je n'avais pas crié d'horreur lorsqu'on décapita les poissons. Courageuse, je pensai: Je perdrai connaissance ... demain!

La Gou Gou de l'Île Bonaventure

La pêche avait été bonne et le soleil tardait à se lever. Déjà les oiseaux de mer virevoltaient autour de nous et les fous de Bassan faisaient les fous car nous longions les côtes de l'île afin d'atteindre un replis de falaise pour y prendre notre petit déjeuner.

Enfant, un frisson parcourut mon dos. Gou Gou l'ogresse géante existait-elle encore? Autour d'un feu de camp, souventes fois, on m'avait raconté son histoire. Cette créature monstrueuse avait la forme d'une femme mais une physionomie terrible. Elle était si grande que les mâts des bateaux n'atteignaient pas la hauteur de sa taille. On la voyait souvent marcher à grands pas sur les rochers de l'île; on rapporte même qu'elle traversait sur la terre ferme pour y capturer des Amérindiens qu'elle apportait à son antre, dans la poche de son tablier, pour les dévorer.

Lors de l'arrivée des missionnaires, la Gou-Gou fur forcée, comme tous les autres fantômes et revenants créés par l'imagination prolifique des premiers habitants du pays, d'abandonner son domaine et de chercher un refuge ailleurs.

Un brouillard matinal s'éleva qui prit les formes les plus fantastiques, à croire que la Gou-Gou était revenue. À grands cris, les mouettes nous escortèrent, craintives et affolées. La barque dansa, évitant de se heurter aux rochers pointus avant de s'immobiliser.

Dans l'antre de Gou-Gou

Contrairement à la légende, il n'existe pas de grotte à l'île Bonaventure mais des replis créés par le battement de la mer qui gruge la falaise à la hauteur de la mer. Parfois des éboulis forment des alcôves protégées et on raconte que la Gou Gou avait elle-même lancé quelques rochers pour en faire son antre. Des lianes avaient envahi les roches et emprisonné des coquillages dans leurs étreintes. La sorcière, qui en gardait autrefois l'accès, avait laissé ses empreintes dans la mousse et transformé les pierres où nichaient un tas de fourmis. D'épais essaims de moustiques planaient au-dessus d'une petite mare d'eau stagnante et une troublante odeur de varech se mêlait au parfum de quelques fleurs sauvages.

Afin de chasser l'humidité, on fit un feu puis, d'un coup de casquette, on m'épousseta une roche plate. Un marin tira un pain-fesse (5) d'un sac de toile, le bloqua sous son bras, puis avec le couteau ayant servi à étêter les poissons, il coupa l'entame. Le plus naturellement du monde, il essuya la lame sur le côté le plus propre de son pantalon, tartina la tranche de pain avec du beurre ramolli et termina la présentation avec un morceau de jambon que tenait pour lui l'aide-cuistot. La main étant crasseuse mais le sourire réconfortant, j'avalai mon déjeuner avec un café fort servi dans un gobelet lavé et essuyé avec le coin de la vareuse de mon serveur. Qu'importe! J'avais faim ... j'aurai mal au cœur demain!

Lorsque nous arrivâmes au quai, les curieux, comme à chaque jour, s'étaient groupés afin de voir si la pêche avait été bonne. Ils ne furent pas déçus. La cale était rase et j'y avais contribuée. J'aidai à l'amarrage avec l'adresse d'un mousse expérimenté. Le capitaine, afin de montrer que j'étais bien des leurs, que je faisais partie de l'équipage du Tempête, me donna, comme a chacun, une bonne tape sur l'épaule en guise d'au revoir. Une journée, une seule journée et j'avais gagné des galons. Face à la mer, je me suis dis: Je n'attendrai pas à demain pour être heureuse. Je le suis aujourd'hui.

De retour à l'Île

Fascinée par l'île Bonaventure qui se trouve à 1,5 km de la côte et dont les falaises grimpent de 30 à 90 m au-dessus du niveau de la mer, je décidai le lendemain d'y monter. Couverte d'une forêt de conifères, balayée par les vents où se cachent tout un monde de lichens, de mousses et de champignons, j'allai de découverte en découverte, de fleurs en fleurs, des petites fleurs sauvages aux riches couleurs jusqu'aux fleurs artiques alpines juchées sur les hauteurs.

Mais ce qui est le plus fascinant c'est que l'île est une immense volière avec 280 000 oiseaux, margots, godes, marmettes, goélands, mouettes qui nichent un peu partout et une colonie de 60 000 Fous de Bassan formant un spectacle de plumes blanches sur fond bleu.

Une barque de pêcheurs me ramena au port.

Encore une belle journée pour être heureuse ... que me réserve demain? Peut-être une excursion au rocher Percé à marée basse pour m'amuser à retrouver les fossiles dans cette masse calcaire ou vais-je prendre d'assaut les 650 m du Mont Ste-Anne afin d'embraser l'horizon ...

 
..........

Petit lexique régional

1. Dégueuliner: vomir
2. Fret: froid
3. Mouille: pleuvoir
4. Chu sartin: je suis certain
5. Pain Fesse: double miche de pain retenue sur un côté et cuit dans un grand four extérieur. Sa forme épouse une paire de fesses. Ainsi nommé au début du siècle par un boulanger espiègle

 
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