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Prison de Trois-Rivières, sentence d'une nuit

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Prison de Trois-Rivières, sentence d'une nuit
Ou L'art de s'évader du quotidien
Jacline La Flèche

Assise sur un banc, à la terrasse qui dominait le fleuve, les yeux rivés sur les mouettes qui s'en donnaient à ailes joyeuses et malgré la beauté du site, je ressentais comme un malaise. Cela parut évident car mon photographe me fit remarquer que nous avions encore une bonne heure de liberté avant notre incarcération.

Avant de pénétrer dans cette prison, je réalisai soudain que ce serait la première fois que j'amorcerais un reportage où je quitterais l'univers de la logique afin d'y vivre une expérience peu commune: entrer dans la peau d'un détenu. L'écriture allait-elle me servir d'exutoire et l'intrigue changer ma vision des choses?

Prison de Trois-Rivières, sentence d'une nuit  1

Le soleil couchant illuminait la prison de pierres grises, massive, accusatrice, depuis 1822. Une matrone consulta mon dossier et m'ordonna de la suivre. J'obéis, docile et résignée, étouffant le bruit de mes sandales à talons hauts. Je rejoignis les 13 " prévenus " qui chuchotaient leurs premières impressions. A leur insu, j'imaginais déjà un plan d'évasion et choisi d'instinct une chaise, la plus proche de la porte. Strident, le son d'une sirène de police vint rompre le silence dans la salle. L'atmosphère devenait de plus en plus oppressante. Le gardien, imposant, accompagné d'un autre plus imposant encore, vint nous enfermer dans le " bull-pen ", la traditionnelle cellule pourvue de barreaux de fer d'une solidité à toute épreuve où on parque les détenus en attendant de les conduire à leur wing (secteur). C'est ici où tout commence. Chacun, dans son imaginaire, essaie d'anticiper ce dont il sera accusé. S'impose alors devant moi quelques larcins : vol à l'étalage… chose possible car un cambriolage de banque, selon ma logique, était peu probable. Vol de voiture... j'écartai cette hypothèse car je déteste conduire. J'en étais à me creuser la tête, cherchant la raison pour laquelle j'étais derrière les barreaux. Après une attente qui me parut longue, ce fut mon tour d'être appelée et le jugement, à ma grande surprise fut vite prononcé:

- Proxénétisme.
Ma dignité en souffre encore! Le rouge me monta au joue, dépassant de loin les tendances mode que je vante sur BelleMag. Je sursautai, prête à m'objecter mais une prisonnière, attendant son tour, à voix basse me murmura , sans doute pour me réconforter :

- Ça te vas bien! T'es si élégante. Son copain venait, quelques minutes à peine, d'être accusé pour avoir volé des sacs à main aux vieilles dames.

Prison de Trois-Rivières, sentence d'une nuit  1

Je sortis de la Wing, le coeur à la vengeance. J'étais passée au statut de détenue. Je suivis le gardien, inquiète de mon sort. L'oeil sec, je me pliai à la routine et passai au fichier: photo d'identification judiciaire, empreintes digitales… Portant le chandail des prisonniers, les bras tendus, on avait empilé comme on charge un mulet : couverture de laine grise, 2 draps, 1 seul oreiller, 1 bouteille d'eau… Lorsque je voulus récupérer ma trousse de toilette, la couverture déboula. Comme si je pensais vivre encore à l'hôtel, je dis au gardien empesé derrière moi : " voulez-vous le prendre? ". Je risquais sans doute de payer cher cette demande pourtant anodine. En prison, on est vite classé. La porte de ma cellule grincha et d'une voix forte j'entendis le gardien clamer : " tu fais ton lit, LaFlèche ". J'exécutai les ordres et allai rejoindre mes compagnons de la Wing dans une petite salle. Mon doigt, inconsciemment, suivit les coups de couteau sur la table, les états d'âme des anciens détenus : un coeur creusé dans le bois naïvement sculpté, une initiale ayant survécu à l'usure. Puis, une porte s'ouvra. Un ex-détenu au physique imposant vint s'écraser sur une chaise. Son attitude ne trompait personne : mieux vaut se taire sinon on risque de se faire taper sur la gueule! On écoute ses flash-back, ce passé qui s'accroche encore à son présent, qu'il étale à nu, avec parfois des émotions dans la gorge.

Prison de Trois-Rivières, sentence d'une nuit  1

La prison est petite. Très petite même. Avec une capacité de 40 détenus, elle arrivait à entasser, par moments, une centaine de prisonniers à la fois. Jusqu'en 1986, les conditions de vie y étaient épouvantables. Sans toilette, une douche de cinq minutes par semaine et les détenus qui faisaient leurs besoins dans une chaudière commune… ça ne devait pas sentir la rose!

Il termina son récit en nous entraînant dans la cave appelée "le trou " qui servait de cellule d'isolement, là où étaient conduits et attachés aux pieds par de grosses chaînes les détenus récalcitrants. Un plancher en terre, l'humidité, la noirceur, de quoi réfléchir. Seule la présence des rats venant renifler l'eau de la gamelle et les miettes d'un pain ranci brisait le silence. Pour les besoins, il fallait creuser... comme un chat dans sa litière. 

" Tous en rang " cria le gardien. On nous remit un petit en-cas dans un sac de papier brun (un chips et une boisson gazeuse). En rang encore pour faire un brin de toilette. Quelle épreuve! Mon tour vint. J'eus à peine le temps de sortir ma brosse à cheveu que j'entendis le " screw " frapper à la porte.

- Hey, LaFlèche, sort. On n'a pas toute la soirée.
- J'osai, je dis bien osai lui répondre : je n'ai pas encore fait pipi .
- Tu l'feras demain. Y en a d'autres qui attendent.

Je sortis mais jurai intérieurement : " toi, j'aurai ta peau "! Je regagnai ma cellule. J'entendais les portes un à une se fermer avec un bruit mat. C'est une sensation intense qui nous pousse à la réflexion. Plus tard, le même screw fit sa ronde, tira le carreau et braqua la lumière de sa lampe de poche sur chaque lit afin de vérifier les dormeurs. On dit qu'ils font le compte. Nous étions, mes compagnes et moi à murmurer lorsqu'une voix, la même voix résonna : " LaFlèche, ta gueule "!

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6H30. Réveil. De nouveau, en rang pour la salle de bain. Nous avions tous piètre mine et Dieu soit loué, mon maquillage d'hier avait tenu l'épreuve. On nous assigna nos tâches du matin : la salle, les cellules, le plancher…

- toi LaFlèche, tu fais le gruau. Allez bouge!
- Je murmurai alors : Je ne sais pas en faire!
- C'est facile : voilà le chaudron. Tu mets du gruau, de l'eau et tu brasses.

Je suivis à la lettre ces indications mais plus je brassais, plus la cuillère de bois collait dans la masse. Je l'entendis rouspéter : -

- Rajoute de l'eau! Maintenant, c'est trop clair. T'as pas toute la journée. Vite, remplis les bols.

Lorsque je retrouvai mes compagnons, l'un d'eux hésita.

- T'as pas aimé le gruau, demande le screw?
- Le prisonnier de répondre : il y a un peu trop d'eau.
- Bois-le.

Ce qui fut dit, fut fait. Je découvris un mot qui changea ma vision des êtres : solidarité.

Sur la table écaillée, je trouvai à la pointe d'un couteau des coeurs, des lettres, des années de frustration. Trois gardiens, bien campés sur leurs jambes écartées, attendaient le moindre écart pour intervenir. Avant même de sentir l'atmosphère s'alourdir, on vint me chercher. Sentence d'une nuit... cela suffit !

Après avoir respiré l'air de la prison, j'éprouvai à la sortie une sorte d'ivresse, de liberté, même en tenant dans la main ma libération conditionnelle, en retrouvant la senteur piquante des arbres gorgés de la rosée matinale. Guy, rompa le silence : si nous allions déjeuner. Je compris que lui non plus, n'avait pas apprécié mon gruau!

On vient à la prison, comme un jeu mais on ne peut pas sortir de cette expérience sans un enrichissement. Ceci ne nous rend pas plus tolérant pour ceux qui font des mauvais coups, mais cela nous fait réfléchir. Chaque personne y trouve matière à réflexion. Il y a une prise de conscience car on se trouve pendant 24 heures confronté avec soi-même. Oui, c'est un jeu, mais il ne faut pas le prendre à la légère. L'ambiance est pesante. Le rire n'existe plus. C'est comme si les murs de la prison nous observent, nous guettent. Ne pensez pas jouer dans une comédie. Vous entrez dans la peau d'un personnage avec sa discipline, ses silences, ses émotions. Vous suivez le parcours d'un détenu depuis son incarcération jusqu'à son premier réveil. Âme sensible, s'abstenir!

Avant sa fermeture en l986, la Vieille prison de Trois-Rivières était le plus ancien établissement carcéral en fonction au Canada. On peut aussi la visiter " sans sentence ". Les guides, des ex-détenus de prisons canadiennes, nous font revivre avec intensité le quotidien des prisonniers qui y ont purgé des peines de moins de deux ans, entre 1822 et 1986. La visite, d'une durée d'une heure environ, est dynamique, impressionnante. Elle humanise le milieu carcéral. Elle aide à prendre conscience de nos actes et de nos choix. Elle rappelle aux jeunes à quel point ce n'est pas un endroit où l'on veut aboutir… C'est une activité qui vaut le déplacement.

Prison de Trois-Rivières, sentence d'une nuit  1
Coordonnées
Prison de Trois-Rivières, sentence d'une nuit  1

VIEILLE PRISON DE TROIS-RIVIÈRES ET MUSÉE QUÉBÉCOIS DE CULTURE POPULAIRE
Ouvert tous les jours du 24 juin à la Fête du travail de 10h à 18h.
Ouvert le reste de l'année du mardi au dimanche de 10h à 17h.

200, rue Laviolette, Trois-Rivières. Tél. : 819 372-0406
Courrie l: info@enprison.com
Pour + d'infos: http://www.tourismetroisrivieres.com/fr/attraits-et-activites/vieille-prison-de-trois-rivieres/220

Visite virtuelle en 360

 
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Photos : Guy Schiele

 
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