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Suivez Jacline de Lima au Machu Picchu

L'hôtesse de l'air venait d'annoncer que le déjeuner allait être servi. Je risquai un oeil encore endormi au hublot; nous approchions de Lima. Je préparais ce voyage depuis des semaines! Je regardai mon sac à dos tout neuf et mes bottines prêtes à rendre mes pieds alertes. Philippe, le guide, ronflait, indifférent; l'archéologue étudiait encore les cartes qu'il connaissait par coeur tandis que deux passagères discutaient de la couleur de l'omelette et de la qualité des fromages.

Lima - Prendre un taxi ... une expédition en soi

L'avion se posa avec quelques hoquets. Lorsque libérés des formalités, nos passeports à l'abri des mains fureteuses, luttant pour la sortie, nous pûmes enfin prendre un taxi! Les chauffeurs se battaient pour nous avoir. Un gros homme à la peau burinée nous poussa littéralement vers sa voiture rouillée, d'une couleur indéfinissable - deux tons de brun qui se mêlaient à la terre que la pluie de la veille avait ocrée. Je dus partager le siège avant. La pluie s'était remise à tomber. Sandez conduisait vite et sa voix enterrait le son aigu du klaxon maladif. Il y avait longtemps que les fenêtres n'avaient plus de vitres et l'air entrait tandis que le plancher troué me faisait craindre les flaques d'eau de sorte que, lorsque j'arrivai à l'hôtel, mes bottines neuves avaient déjà goûté à la terre péruvienne.

Le lendemain, j'arrivai la première à la salle à manger. L'oeuf louchait dans mon assiette de terre cuite à côté des rôties anémiques. Pensive, je me contentai de tracer des arabesques avec le beurre qui fondait de désespoir. Philippe s'approcha et me dit tout bas: - Prenez quelques galettes, vous en aurez besoin aujourd'hui! mais, malgré son conseil, je sortis de table la mine basse et le ventre vide.



L'île de Taquile ... début d'une belle aventure

Nous primes une barque pour nous rendre à l'île de Taquile, sur la partie péruvienne du lac Titicaca. Parmi les passagères il y avait des femmes qui étaient allées à Lima avec leurs jeunes filles pour acheter le petit chapeau traditionnel qui fait, de ces dernières, des femmes aux yeux des hommes. Elles pourront le porter le dimanche et les jours de fête, porter aussi une jupe voyante et brodée. Les femmes portent sept jupes aux tons variés et chaque couleur est une page de leur histoire qui parle pour elles dans le silence car elles jasent peu. La jupe dira le jour de l'année, la joie, la peine, la naissance et la mort. À côté de moi, la femme était vêtue de noir et tenait par la main une adolescente, ses yeux rivés sur le bord de sa jupe rouge qui dépassait à peine, cruellement. Malgré son chagrin, elle avait fait le voyage pour donner à sa fille son coup d'envol.

L'île de Taquile se dessinait au loin où quelqu'un m'ouvrirait la porte de sa petite maison pour que j'y dorme ce soir. J'écoutai le ron ron du moteur sur lequel notre capitaine faisait griller de petits poissons, nous les offrant ensuite avec un sourire édenté et les mains sales ... mais comment refuser! Ce que j'ai eu mal au coeur d'avoir été polie!

La barque s'immobilisa enfin. Je trouvai le village très haut perché, si haut que j'en eu le vertige. Nous commenзâmes l'ascension, suivant le sentier tracé par les lamas. De temps en temps, une pierre poussée par mon pied hésitant, roulait en bas de la falaise, entraînant avec elle d'autres roches. Je respirais à peine, soutenue moralement par le guide - Tenez bon! Je vis tout en haut une statue qui m'ouvrait les bras tandis qu'un lama peu amical m'obligeait à lui céder la route, prétentieux. Il me cracha même sur l'épaule en passant. Je ne voulus pas rester en reste avec cet inconnu et, plus morte que vive, je lui crachai dessus à mon tour, puisant dans cet acte le courage qui me manquait et, très digne, j'atteignis le sommet.

Une famille m'accueillit et me céda leur minuscule maison. Ils étaient silencieux et recevants. La femme portait une jupe grise, celle des jours de semaine, sauf que celle-ci était brodée à l'ourlet, ce qui signifiait qu'il y avait un visiteur à souper. Le feu de bois pétillait; il faisait chaud et je sentais mes membres se détendre. J'étais seule, étrangère. La nuit étant venue, je montai l'échelle pour arriver à ma chambre. Un amas de couvertures servait de lit; un petit banc, une table boiteuse constituaient tout le mobilier. Une chandelle fatiguée menaзait de s'éteindre. Je m'approchai de la fenêtre et je pus voir la famille qui m'avait offert le gîte et le couvert étendue sur des peaux de fourrure. Je m'endormis épuisée au son des pleurs du bébé et des berceuses chantées par une mère courageuse. Je m'éveillai avant que la bougie ne meure car le tonnerre grondait et les éclairs projetaient des ombres effrayantes sur les murs de mon nid. Tel un oiseau, je repliai mes ailes et me sentis bien loin de chez moi. J'essayai d'apprivoiser, encore une fois, ma solitude. Quelqu'un grimpait l'échelle et je sursautai ... une petite fille m'apportait du thé. Son sourire barbouillé éclaira toute ma journée.

Après trois jours, nous fîmes le voyage à l'inverse, rapportant dans nos bagages des souvenirs impérissables. Nous nous arrêtâmes à Puno.

Aparté autour d'un col
À la gare, pas plus grande qu'un mouchoir de poche, nous attendions le train; le quai bourdonnait d'activités. Marchants, femmes, enfants, animaux, tous se frayaient un chemin pour arriver à l'endroit même où le train allait s'arrêter. Des femmes offraient aux quelques touristes des bijoux et des lainages. C'était jour de marché et la couleur de leur jupe n'était plus la même. Les longues nattes de cheveux habilement tressées, se balanзaient au gré du pouvoir d'une vente.

J'hésitais entre un bracelet et un fichu lorsque je sentis, autour de mon cou, la douceur d'une fourrure. Comment ai-je pu, dans cette cohue, discuter du prix d'un col de fourrure en lama ... une petite merveille! Le sifflet du train arrêta tout marchandage et, à mon grand regret, je montai à bord et me trouvai une place près d'une fenêtre. Je m'apprêtais tristement à remettre mes pesos dans mon sac lorsque je vis un bras passer par la fenêtre et le col de fourrure atterrir sur mes genoux. Je poussai un cri et faillis m'évanouir. Je vis alors un visage à l'envers au bout du bras. Double cri. Je reconnus mon marchand de tantôt qui voyageait sur le toit. Agrippé au rebord de la fenêtre il m'offrait le col de fourrure pour quelques pesos de plus. Plus morte que vive, j'acceptai. Un homme avait risqué sa vie pour ma coquetterie. Je n'ai jamais eu le courage de porter ce col ...je l'ai encadré!.

En route pour Machu Picchu
Toute la journée, nous avons roulé assis les uns contre les autres, sur une banquette inconfortable. Toutes les odeurs y voyageaient et aucune ne descendait aux arrêts. Seul le spectacle grandiose réussissait à faire passer le temps et à embellir tout ce que j'avais imaginé. Quel enchantement! Les champs, au fond des vallées, prenaient des nuances où se mêlaient les verts tendres et les verts audacieux, les montagnes dessinaient leur profil sur un ciel bleu-gris. Comme pour fermer ce tableau d'une rare beauté, le soleil disparut derrière de petites maisons d'où s'échappait une fumée timide qui allait se perdre dans un ciel déjà étoilé.

- Où étiez-vous donc Jacline? me dit l'archéologue.
- Ailleurs! répondis-je.

Nous étions arrivé à la Vallée de la Lune. Il faisait presque nuit. Tout était désert et nous dûmes marcher jusqu'à la ville. J'ajustai mon podomètre à ma cheville et comptai que j'avais parcouru une distance de 12 kilomètres. On se mit en quête d'un endroit pour souper et, au coin d'une rue, une annonce éclairée par une lumière blafarde, une musique démodée et la faim aidant, nous entrâmes dans l'établissement. Quelques tables, sans nappe, posées sur un plancher de terre battue, des bancs boiteux et, au fond de la salle, la huche où s'affairait le cuisinier. Son tablier taché nous annonзait déjà le menu. Replaзant le tisonnier, il s'avanзa vers nous et, avec le même tablier, essuya les cinq bancs, donna une coup de pied au chat, menaзa le chien qui aboyait et appela sa femme. J'avais le goût de sortir mais une odeur connue se mit d'accord avec mon estomac. Comment, est-ce possible! ... C'était bien une odeur de pizza. Jamais pizza n'avait été meilleure! Un conseil: si, un jour, vous passez par la Vallée de la Lune, arrêtez-vous Chez Rako ... bon, pas cher, pas de pourboires. Cependant, si j'étais vous, j'apporterais mes ustensiles, ma tasse, mon assiette et un coussin si vous avez la fesse délicate.

Le train pour Machu Picchu ne passe qu'une fois par semaine, s'arrêtant le mercredi. Nous étions lundi.

- Pas le choix! annonзa Philippe le plus naturellement du monde.

Heureuse et naïve, je répondis:
- Bon, nous prendrons l'avion! Jamais je n'oublierai son regard.
- Nous marcherons sur la voie ferrée et nous nous imaginerons que nous avons dans nos poches un billet de première classe, dit-il.

Dieu que j'ai détesté cet homme! Maintenant, je lui suis reconnaissante car j'ai appris que si les voyages usent les souliers, ils forment aussi le caractère! J'essayai de sauter d'un dormant à l'autre selon ses instructions mais, facile à dire! Je les voyais tous alignés et, m'élanзant, avec bonne intention et assurance, chaque fois mon pied ratait la cible et je ratissais les cailloux avec mes bottes.

- Si le train siffle, vite, libérez la voie! avait-il ajouté.

Évidemment, mais comment! d'un côté un fossé plein de boue; de l'autre, atterrir dans le tas de détritus bordant la voie ferrée. La pluie vint grossir mes inquiétudes; j'endossai mon imper entre deux chutes et une enjambée presque parfaite. Un long cri me fit tourner la tête ... une locomotive noire, telle une bête enragée, fonзait vers nous, crachant une fumée noire.

- Vite dans le tunnel, cria le guide. enlevez vos sacs et faites-vous très petits.

La peur me donna des ailes et je réussis des enjambées spectaculaires. J'atteignis le tunnel et me blottis contre la paroi dure et humide. Le train criait toujours mais moi je me taisais. Je sentis tout à coup un vent m'envelopper et le capuchon de mon imper vint fouetter mon visage. Le temps me parut une éternité lorsque le cauchemar prit fin. Philippe me poussa hors du tunnel et, telle un zombie, je me remis à sauter d'un dormant à l'autre essuyant sur mes joues la suie qui se diluait par une pluie tenace. Courageuse? Non ... mais vivante! Je connus la peur, l'ivresse de la réussite. Je me penchai pour cueillir une petite fleur. Nous avions toutes deux survécues au passage de l'engin.

 
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Photos
Lima : Iktours

 
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