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Suivez Jacline au pays des gauchos

Bienvenue en Argentine > au pays des gauchos

Nous venions de quitter la "grande route" et nous roulions maintenant sur les chemins de terre qui nous amenaient vers l'Hacienda Del Bolas. Une poussière grise nous précédait emportée par le vent, cachant ainsi un soleil hésitant. Des poules se sauvaient, apeurées, vers un abri en cacassant. Quelques plumes virevoltèrent et l'une d'elles vint atterrir sur le pare-brise de la Jeep. Le chauffeur jura en argot et cracha le jus de sa chique de "maté", tout en évitant de justesse un troupeau de jeunes veaux.

La Jeep se redressa et Chico, tout heureux d'avoir réussi cet exploit, enfonça son chapeau et montra dans un sourire ses dents jaunis.
Comme sorti d'un conte, sortis des vertes prairies, quelques ombús apparurent, ces chaumières en briques crues entourées de simples jardins. Les femmes, assises sur le pas de leur porte, étaient occupées à tisser. Elles ressemblaient à des statues avec leurs robes bariolées et leur figure burinée. Des chiens aboyaient, dérangés par notre passage, fidèles gardiens des trésors de leur maître. Nous venions de traverser le dernier village. Nous mîmes une bonne heure avant de voir les premiers pâturages. De temps en temps, nous croisions, harnachés comme des "cow-boys" des cavaliers qui nous saluaient, l'air hautain, l'esprit ailleurs ... mais politesse oblige!

Une pancarte accrochée à un poteau sur laquelle un dessin usé représentant un superbe étalon marquait le lieu et le nom du rancher propriétaire. Nous étions arrivés

Des gardiens chargés de la surveillance des lieux renforçaient encore à mes yeux l'analogie avec les ranchs d'antan. Vêtu de cuir, l'un d'eux couvert d'un feutre aux larges bords s'avança vers nous, les mains appuyés sur les "colts" pendant à sa ceinture. Après un long discours avec notre chauffeur, les barrières s'ouvrirent à grands cris de fer rouillé et d'ordres donnés.

Quatre cavaleros, montés sur leurs criollos, ces chevaux indigènes, nous escortèrent jusqu'à une immense bâtisse faite de planches délavées par le temps. À l'intérieur régnait une fumée épaisse à travers laquelle on distinguait l'ombre des hommes de toutes les couleurs qui misaient à forte gueule sur des chevaux, des bœufs. Ce jour-là, c'était jour d'encan. On venait de partout pour acheter ou vendre du bétail. L'animation était à l'extrême et les enchères débattues à force d'engueulades. Des bras puissants s'agitaient et les billets de banque changeaient de mains et l'animal de propriétaire. Je quittai ce vacarme et sortis.

Je vis Chico en train de seller un magnifique pur-sang. Je m'approchai. Surpris de l'intérêt que je portais à cette belle bête, il me proposa de monter une jument à la robe alezane qui, se croyant délaissée, piaffait pour attirer mon attention. Je ne me fis pas prier et mis le pied dans l'étrier. Le bonheur! Je me revoyais à la ferme de mon grand-père avec le poney docile, les deux gros percherons et le palomino ... Souvenirs du passé! Je partis au trot. Un instant je m'arrêtai pour admirer dans un enclos des mustangs sauvages qui refusaient encore de se laisser dompter. Quel spectacle! Je perdai la notion du temps. La cloche annonçant le dîner tinta et je rejoignis, à fière allure, les gauchos qui ramenaient les chevaux vers les stalles réservées aux acheteurs.

Je m'apprêtais à descendre de mon cheval lorsque je vis mon palefrenier portant son habit des grands jours: des culottes de daim, des demi-lunes d'argent martelé sur sa veste, signe de son rang, des bottes de cuir qu'ornaient des éperons en forme d'étoiles. Son chapeau avait glissé dans son dos, retenu par une corde de cuir. Avant de mettre pied à terre, j'avais remarqué les "Boulas" à longue corde retenue à sa ceinture et compté les noeuds, signe indéniable de sa rapidité et de son adresse de rancher. Il me quitta l'œil taquin ... et la main baladeuse.

À table

J'entrai dans la salle à manger rustique avec ses longues tables de bois brut et ses bancs alignés. Les rires, accompagnés de bruits d'ustensiles, formaient une invitation à la détente et à la simplicité. Un gros pichet de vin trônait au milieu de la table qu'on remplissait à mesure que le liquide touchait le fond. Les femmes présentaient les plats, sans façon, en essuyant les assiettes avec le coin de leur tablier avant d'y déposer la nourriture - ça sentait bon! ça goûtait bon! Je dégustais mon asado tout en m'efforçant d'oublier le cuisiner que j'avais aperçu, loin des cuisines, attiser le feu sous le tournebroche où cuisait un veau. Je me versai une autre rasade de vin.

Peu à peu, la salle se vida, laissant les assiettes vides. C'était l'heure de la sieste après une matinée mouvementée. Ici et là, on trouvait un rancher ou un gaucho endormi pendant que les femmes, en silence, remettaient tout en place. La vaisselle était plongée dans de grands bacs d'eau bouillante. Les ustensiles formaient un orchestre de cliquetis où se mêlaient les sons variés des ronfleurs. Le soleil frappait dur et une brise légère séchait, accrochés aux branches des arbres, les "linges à vaisselle" bariolés. Et les heures s'écoulèrent.

Avant la brunante, on s'affaira à réunir les animaux nouvellement acquis. Certains retournaient à leur ranch, déçus, ramenant les animaux qu'on avait boudés lors de la vente. Les lassos et les "Boulas" réunissaient la propriété de chacun et l'écho répondait aux bêlements des veaux, aux hennissements des chevaux, et aux aboiements des chiens.

Lorsque vint notre tour de quitter l'hacienda, je montai dans la jeep et jetai un coup d'œil en arrière. Quelle journée magnifique et trop vite passée! Je vis le gardien refermer la barrière. Il prit dans sa poche une pipe bien culottée qu'il avait sans doute fumée une centaine de fois, et y enfoncer le tabac ébouriffé sorti d'une blague en vessie de porc. Il frotta une allumette sur la boucle de métal qui ornait sa ceinture. Perdu dans ses pensées et ses ronds de boucane il s'accouda à la grille, attendant dans la paix la première étoile.

Pour lui, une autre journée était terminée.

Pour moi, un autre souvenir venait de s'ajouter.

Petit lexique
  • Alezan - cheval, mulet, etc. dont la robe est d'un brun rougeâtre
  • Bouvril - lieu où on loge les bœufs destinés à l'abattoir
  • Bovin - de bœuf
  • Colt - pistolet à chargement automatique calibre 11,43 mm du nom de son inventeur
  • Étalon Pur-sang - cheval arabe destiné à la reproduction
  • Maté - arbuste de l'Amérique du Sud dont les feuilles sont utilisées en infusion ou en chique
  • Mustang - cheval importé d'Europe mais devenu à l'état sauvage
  • Pampa - vaste plaine de l'Amérique du Sud
  • Percheron - cheval de trait grand et fort
  • Stalle - compatiments distincts assignés aux chevaux dans une écurie
  • Ranch - hutte de pionnier tiré de l'espagnol "rancho"
 
 
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