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À l'heure de la Criée

Il est 5 heures du soir. De vieilles Portugaises, toutes de noir vêtues, certaines emmitouflées dans un châle, s’installent sur la petite estrade et attendent au marché de poissons de "a lota". D’autres arrivent; un signe de tête car il y a si longtemps qu’on reprend le même strapontin qu’on se connaît mais chacune fait silence. Devant elles, séparées par une barrière, une table d’inox sur laquelle viendront défiler les paniers de poissons.

Que font-elles, ces vieilles Portugaises au visage ridé, impassibles. Elles attendent l’heure de la criée. Ce sont des acheteuses professionnelles et ne vous trompez pas. L’oeil aguerri saura dépister le plus petit camouflage. À l’extrémité de la salle, les préposés trient le poisson. C’est ma première journée. Je suis là et je regarde. Quand la vente commence, c’est le chaos total. On ne comprend rien tellement les enchères vont rapidement. Les vieilles s’animent. Elles ne gesticulent pas mais parlent le langage des mains comme des marionnettes : mille, deux milles escudos, les doigts se lèvent; un pouce plié et vous voilà à la demie. Je n’ai rien acheté; je n’ai rien compris. Le lendemain je retourne et reprend le même siège. Je suis étranger à ce cercle fermé. Tout se déroule encore comme un grand vertige et je repars, les mains vides. Le troisième jour, une des vieilles me regarde et me dit : Toi, tu veux acheter du poisson? Je voudrais bien lui répondis-je. Alors elle m’explique le language. Je me lance. J’achète. Tout fier je regarde mon premier panier de soles. Qu’as-tu acheté, me demande la vieille? Tu as bien vu, lui dis-je, c’est un panier de belles soles. Non, rétorque-t-elle, tu viens de te laisser prendre comme une petite sardine. Apprend à regarder. Tu as acheté des saphirs et non des soles. Tu vois leurs yeux. Ils sont rapprochés et distants de 1 cm tandis que les yeux de la sole ont 2 cm d’écart. Le saphir possède de plus de légères rayures noires mais, avec cette lumière, elles ne sont pas faciles à déceler. Sa chair est moins ferme et de moindre qualité.

C’est comme pour la dorade. La vraie dorade a un petit point jaune entre les deux yeux, sinon, c’est une sargetas. Le sargo est aussi un poisson très recherché et cher aussi on essaiera de te refiler parfois une autre espèce argentée avec un zébrage noir. Quand il est plus ou moins frais, son zébrage disparaît. Si tu veux un loup de mer, prend-le toujours avec la gueule ouverte. Cela signifie qu’il a été pêché à la ligne. Ne le prend jamais la bouche fermée. C’est un poisson qui a été pris dans les filets, sa chair est moins ferme et il a les os brisés. Et ainsi continua la vieille qui revient chaque jour de la semaine à l’heure de la criée.

Nous tenons à remercier M. Dantas du Restaurant Regional pour ce vécu savoureux ...

 
 
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