Nous longeons la mer. Les cultures en terrasses se multiplient. A notre hauteur, les bananeraies trapues jusqu'à 200 m; plus haut les vignes. Point de grandes cultures mais de petits rectangles qui se multiplient à l'infini à flanc de montagne. Nous nous trouvons à Pico da Torre qui surplombe ce petit village de pêcheurs où Winston Churchill aimait venir peindre. Chaque village de pêcheurs possède plus ou moins sa spécialité et ici, les hommes ont appris à lancer des lignes à 3 OOO mètres de profondeur pour attraper le poisson-épée noir, une espèce qu'on ne retrouve que dans les eaux de Madère.

L'autoroute nous amène à travers 5 tunnels jusqu'à Quinta Grande pour accéder à travers les pinèdes et les eucalyptus au Cabo Girao qui s'élève majestueusement plein sud comme une rose des vents à 580 m au-dessus du niveau de la mer, ce qui en fait la deuxième plus haute falaise maritime au monde. Sur ce promontoire, vous pourrez admirer, la côte sud de Madère découpée de Ponta da Cruz jusqu'à Ribeira Brava.

Vous trouverez ici le dernier village muséologique situé à 30 km à l'ouest de Funchal. Des boutiques, des cafés, une jolie chapelle du XVIe siècle, c'est un arrêt-détente avant la grande aventure. C'est ici que les autorités prévoient créer le deuxième développement touristique de l'île après la capitale.

Avant d'atteindre le Campo Grande qui est le toit de Madère à 1 700 m au-dessus du niveau de la mer, la route en lacets vous entraîne dans une époustouflante aventure dans une gorge profonde, falaises abruptes à l'horizon chapeautées de nuages. Plus on monte, plus la végétation est exubérante. Dans la première foulée, des milliers de capucines serpentent dans les fossés. Moi qui en dorlote quelques plants dans mon jardin pour décorer mes assiettes, j'ai l'impression qu'ici les fleurs ont pris un coup de folie. Plus haut, vous serez fasciné par de merveilleuses fleurs cierges d'un bleu profond fichées au garde à vous sur de petits arbres aux branches en chandeliers. Vers les 800 m d'altitude, les falaises s'habillent de fleurs jaunes en cascades. De nombreuses avancées de la route appelées mirador vous permettent des arrêts enchanteurs sur les cultures en terrasses, les petits villages blancs et rouges perdus dans la verdure. L'impression est indescriptible. On dirait que la falaise en face de vous est en velours. On se croirait au bout du monde. Pour ceux qui sont allés dans les Andes, on peut y voir cette conation d'irréel et de beauté sauvage. A Encumeada, à mi-distance de la route qui traverse l'île dans sa largeur, par beau temps, vous pourrez embrasser le nord et le sud en un seul regard circulaire.

C'est à Encumeada, à 1 007 m d'altitude que nous nous dirigeons franc ouest. Ayant traversé 3 tunnels et longé de nombreux précipices, nous atteignons les grands plateaux de Campo Grande, le Grand Champ qui atteint 1 620 m d'altitude.

La route est large et traverse les nuages. Parfois, lorsque le plafond est bas, ils sont au-dessous de nous. Vision captivante car nous vivons sur terre la même impression qu'en avion. On est dans une voûte ouatée où le temps s'est arrêté. Vaches, chèvres et brebis paissent tranquillement les fougères tendres. Au détour de la route vous verrez sans doute une génisse couchée sur votre chemin, une vache blanche ruminant au centre de la route. Elles vous regarderons sans bouger. Vous n'êtes qu'une vision fugitive sans malice dans cet univers perdu où l'homme ne fait que passer.

L'air est sec, d'une telle pureté qu'il faut la humer à plein poumon. Si vous montez ici en janvier ou février, ne soyez pas surpris si le plateau se couvre d'un drap blanc de neige. Avec le blanc des nuages, le paradis est descendu sur l'île.

Vous verrez toute la vallée de la Ribeira da Janelo à vos pieds. La route se poursuit, grisante, de mirador en mirador. Vers Fonte da Pedro, on est revenu à 1 022 m d'altitude et la végétation qui avait pris des allures de toundra reprend son exubérante densité. On redescend entre les cultures en terrasses. Au loin la mer, ses rochers volcaniques noirs où les vagues viennent se casser et le petit village de Porto Moniz, tout blanc et propret, à l'extrémité ouest de la côte nord.

La route descend en lacets et les cultures sont protégées du vent du nord par des haies de roseaux .

Ici le décor change du tout au tout. La lave a modelé des sculptures noires qui émergent de la mer. Tout petit, Porto Moniz est devenu une destination privilégiée pour tous ceux qui apprécient la nature sauvage. Ne vous méprenez pas par son appellation. Il n'y a pas de port mais de multiples brisants inhospitaliers. Une immense cuvette naturelle creusée dans la lave a été aménagée de murets et d'escaliers afin de pouvoir se baigner dans la mer sans danger.

Profitez-en pour prendre votre repas sur la terrasse du restaurant Orca qui offre un menu traditionnel délicieux: soupe de poissons, poissons grillés ou frits. Mais la spécialité est sans contredit le filet d'espada, ce poisson noir effilé typique des eaux de Madère. Sa chair fondante est enrobée d'une légère friture à la farine et aux oeufs et servie au choix à la Delicia (aux bananes), aux kiwis, au fruit de la passion ou nappée de crème fraîche et champignons.

Vous trouverez quelques maisons agrippées aux rochers qui pourraient impressionner même les chèvres de montagne

Le retour s'effectue en longeant la côte nord d'une beauté sauvage, la route s'arc-boutant à flanc de falaise, éclaboussée parfois par des chutes d'eau vertigineuses qui s'infiltrent même dans les tunnels. Ici, les rhododendrons poussent sur le rebord des routes, les racines agrippant une motte de terre à flanc de falaise pour apporter des notes blanches et mauves sur fond de mer ou de roc.

La petite communauté de Seixal s'adonne à la culture de la vigne et à la pêche. Si vous passez par ici le 17 janvier pour la Saint-Antoine, le patron de Seixal, tout le village sera en liesse alors que le petit vin blanc sec local coule à flots et peut devenir meurtrier si on n'y prend pas garde … de quoi ralentir votre périple de retour!

À Sao Vicente, ne manquez pas de scruter le paysage où vous verrez de petites huttes basses en roseaux au milieu des plantations qui servent de remise. C'est un des plus vieux villages de Madère niché à flanc de montagne et fouetté par les vents. Il a été entièrement refait selon son concept architectural original et l'église est telle qu'elle était au XVIe siècle.

C'est ici que vous coupez dans les terres pour rejoindre Encumeada; vous revenez sur vos pas pour redescendre vers la côte. La route nationale vous ramènera à Ribeira Brava, Funchal pour un repos bien mérité.