Ouvrir une session English
 
Suivez Jacline chez une famille nippone - Traditions et Manières de table

Le soir tombait quand j'arrivai à la maison. Un calme indéfinissable m'envahit . Une brise chaude faisait se balancer doucement les frondaisons de jeunes érables et il restait à ce jour, assez de lumière pour y distinguer un magnifique jardin: Quelques nénuphars pâles au coeur de feuilles rondes sur une mare, le sable fraîchement ratissé en arabesques. Une roche insolite me fit trébucher. Le son de ma voix plus que mon juron avait attiré Madame Yukuwa sur le seuil de sa demeure.

Comme j'aurais souhaité, à cet instant, avoir dans mon vocabulaire, les mots pour m'excuser d'avoir violé le sîlence de l'ikebana (jardin clôturé de bambou). C'est avec un sourire que je rassurai mes hôtes en kimono. Ils étaient là authentiques, liés intimement à la vie. Le père s'inclina pour une légère révérence altière et fière. C'était un fils des anciennes dynasties samouraïs et je me demandais si tous les Japonais étaient semblables à lui: un vernis occidental sur une âme demeurée profondément orientale. J'appris qu'il travaillait en usine là où le jour pénètre à peine mais où demeurent, vivants, les symboles du Soleil Levant et la lumière de jadis.

Une fois passé le seuil, je troquai mes chaussures contre des pantoufles de feutre, cette agréable coutume voulant qu'aucune souillure collée aux semelles ne pénètre à l'intérieur et qu'aucun talon ne vienne piquer le tatami. En moufles blanches, Madame Yukawa traversa la pièce. Je la suivais des yeux et mon regard s'arrêta, près d'un placard, sur une petite alcôve où trônait un bouddha entouré de deux bouquets de fleurs identiques. Ce matin-là Madame Yukawa avait renouvelé avec plus de soin que d'habitude les six fleurs à hautes tiges dont la présence honore les ancêtres.

Hideki qui avait suivi mon regard m'expliqua les secrets de l'ikebana, un art mineur qui développe la sensibilité aux heures de repos. Ikebana signifie "fleurs vivantes" car ces fleurs ont pour rôle non pas d'embellir la maison mais de leur donner un ton. Une composition ne se répète pas deux fois et dans chaque composition un rameau symbolique est toujours tourné vers le ciel. Composer un ikebana, me dit-il, n'est pas une occupation exclusivement réservée aux femmes mais aussi un passe-temps chez l'homme, considéré au Japon comme capable de saisir aussi le langage des fleurs.

Pendant ce temps, Madame Yukawa allait et venait avec une extrême légèreté, effleurant les objets plus qu'elle ne les touchait. Elle déposait avec une telle grâce les mets sur la table de laque noire que l'on aurait dit un artiste à l'oeuvre. Quel ravissement pour les yeux et quel délice pour le palais! Le dîner semblait avoir pour thème la virilité et le courage. L'ensemble des mets apportés comprenait des crevettes roses rassemblées pour représenter un casque de samouraï; sur un plateau de bambou, des rondelles de concombres avaient été découpées de façon à symboliser la cotte de maille d'un aventurier; des lances en croquants morceaux de gingembre enveloppés dans des feuilles de nori (algues) et, voguant sur une mer de riz, une bonite séchée et salée faisait penser à un bateau.

Si, autrefois, les nobles se devaient de vider leurs bols jusqu'à ce qu'ils soient propres, quitte à glisser dans les manches de leur kimono les pépins de fruits ou les arêtes de poissons, encore de nos jours, une assiette contenant des restes est un spectacle disgracieux et offensant pour les Japonais. Consciente de tout cela mais sans effort, je dois l'admettre, mon bol était vide à la fin du gohan (repas). Je déposai mes baguettes et une phrase lue un jour me revint en mémoire: "Ces étrangers pâles, au nez long, avalent de grands morceaux de viande et ces manières nous horrifient ... mais nous ne savons s'ils ont une étiquette; ils mangent avec les doigts et non comme nous avec des baguettes".

Je devinai plus que je ne le sentis réellement, le souffle d'air que déplaçait au passage le large kimono orné de fleurs blanches de Madame Yukawa. Son mari versa de l'eau bouillante dans une tasse, mélangea le thé, porta la tasse à son front, l'abaissa et en but quelques gorgées. Bien maladroitement, je l'imitai.

- "Doucement, très doucement, insista-t-il. Ainsi vous saisirez le plaisir du geste avant même que d'apprécier votre thé. Le thé a une longue histoire et il fût introduit au Japon vers l'an 800 sous la forme d'une poudre qui servait à soigner les malades ou à confectionner des boissons pour les prêtres et les riches.

Nous buvons, dit-il, le shincha; c'est une variété d' ocha (thé vert ) très doux mais, pour la cérémonie du thé nous utilisons des feuilles cueillies sur des théiers spéciaux et très anciens. Nous sommes, me dit-il en riant, aussi maniaques en fait de thé que les plus traditionalistes des lords anglais".

Je profitai de sa bonne humeur pour replacer mes jambes repliées et dont je sentais un désagréable picotement. Je fis des efforts pour trouver la meilleure position car il n'y a pas de chaises dans une salle à manger nippone.

- Le thé poursuivi mon hôte, est une véritable cérémonie. C'est Cha-no-yu, une histoire remontant à Sen-no Rikyu, un moine zen du XIIIe siècle, qui écrivit un code du thé, en établit la règle sévère et compliquée. J'admirai la subtilité des mots et compris le message. Par respect et aussi afin de prouver qu'un Occidental en est capable, je bus en sîlence et découvris un moyen extraordinaire de communication.

Quand sa femme fût de retour, je remarquai son attitude soumise, révélatrice de son éducation et du goût de l'habitude. C'était encore un hommage spontané à son mari, sa maison et à l'invité que l'on accueille.

À regret, je pris congé de mes hôtes et regagnai l' hôtel.

 
 
Autres Articles
Recherche
 
Infolettre
Rechercher dans le site
Trouver
 
Inscrivez-vous gratuitement et recevez notre infolettre offcielle
S'inscrire