A cette heure-là Guy et moi n'avions aucun rendez-vous précis, toute latitude pour découvrir les beautés de l'île à notre rythme.

Devant nous se déploie une véritable scène mythique. On retient son souffle. Tout semble s'être arrêté. Un tapis de pierres (crans) s'étire à perte de vue dans les tons de gris, bleu, mauve, se mêlant parfois à des roses violacés. Féerique! Nous marchons sur cette rocaille naturelle avec, en toile de fond, la mer que le soleil complice étincelle d'étoiles dorées, les vagues silencieuses… juste frissonnantes. Nous remontons en voiture, encore éblouis et gorgés d'air pur matinal.

Nous nous arrêtons ensuite au centre d'interprétation de l'école du Bout-d'en-Bas. J'appris à connaître l'histoire de l'île, le mode de vie de ses insulaires où la quarantaine de résidents permanents et 150 résidents saisonniers ont su préserver la nature particulière de leur environnement ainsi que l'architecture homogène de ses maisons et de ses bâtiments. Saviez-vous que la plupart d'entre eux possèdent deux voitures… je dis bien deux! Un vieux tacot sur l'île afin de pouvoir se déplacer sans crainte des ornières sur la route parfois cahoteuse, et l'autre rutilante qui attend son propriétaire lorsqu'il descend à Rivière-du-Loup.

Un restaurant peint en jaune, sans prétention. M. Dionne nous accueille comme si nous étions des amis. On jase, on placote et lorsque le repas s'achève, nous connaissons sa femme, l'histoire de la naissance du petit dernier que j'ai eu le plaisir de tenir dans mes bras et même d'être appelée par tous, tante Jacline. Alors on m'invite à visiter leur gîte touristique Au champ du Coq avant qu'arrive le dessert. Pendant que je sirote mon café, j'ai déjà pris rendez-vous avec la jolie bergère pour y voir ses brebis : "fin d'après-midi", me dit-elle, en passant la porte. "C'est le temps que je ramène mon troupeau". Je quitte cet endroit où tout le monde parle en même temps, où les rendez-vous sont pris sans noter l'heure car ils sont déjà inscrits au fond du coeur.

La promenade continue. Tout est calme: une mangeoire d'oiseau se balance au coin du toit d'une petite maison blanche, dans les herbes folles une roulotte minuscule semble attendre de servir... un peu plus loin une vieille voiture aussi imprégnée du même désir se cale d'aise près de deux poules. Tout cela pique notre curiosité. C'est alors que j'aperçois un panneau sur la porte : CLSC (Centre local de services communautaires) ouvert. Pourquoi pas! Ayant frappé, l'infirmière nous accueille avec un sourire... ce type de sourire qui a déjà le don de réconforter le plus mal en point. Timidement, elle nous parle de son travail. "En cas d'urgence, on fait venir un hélicoptère", nous dit-elle. Sinon la petite roulotte est attachée à l'auto et se transforme en ambulance. L'hiver venu, on peut utiliser un traîneau tiré par une motoneige et traverser de l'autre côté de la rive en empruntant le pont de glace. Attentive, mon regard pourtant se perd dans la salle des soins, glisse sur la table gainée de blanc, sur les appareils, et mon coeur se sert devant la modestie du lieu où, pour moi, l'extraordinaire rejoint le quotidien de cette femme. Je sors de cet entretien enrichie. En échangeant un merci, je ne peux pas manquer de jeter un dernier coup d'oeil à la salle d'attente. Les chaises sont vides. C'est à croire que l'air de l'Ile Verte est synonyme de santé, de mieux-être… c'est à vous rendre malade de jalousie!

Au chant du Coq - Je sors de la voiture en dérangeant les poules de la basse-cour; l'une d'elles s'en va en caquetant, affolée. Un bruit me parvient de la grange; un gros bouc, la tête sortie dans l'encadrement d'une porte, crie et hue de ses sabots son mécontentement d'être ainsi enfermé pendant que toutes les brebis de son harem prennent l'air, la laine au vent. Un chien aboie, des chats sautent sur la galerie, j'évite de justesse d'écraser un canard. J'ai, en quelques minutes, fait tant de sauts et de soubresauts que Guy est crampé de rire, et moi... sur le point de crever! Anaïs vient à mon secours et m'entraîne dans son jardin. Les légumes et les fleurs s'épanouissent dans un espace grand comme un mouchoir de poche. Je l'écoute me donner quelques recettes pendant qu'au loin je me perds dans le bleu du fleuve en mêlant, je le confesse, le temps de cuisson et la température du four. Devant l'auberge, il y a des femmes, des bébés... elles s'interpellent sur les heures du boire, qui garde ce soir… ici aussi on prend des rendez-vous. Le dessous de la galerie est transformé en parking à poussettes. On s'échange les bébés, les services - une s'en va tricoter des petits bas, l'autre …. Comme elles m'ont vue au restaurant, on me crie en même temps des invitations. Je ne sais pas qui, je ne sais pas où… c'est comme ça ici. Je capte encore des phrases en montant les marches de cette vieille maison: je reprends le bébé à 8H00… as-tu assez de couches… J'te verrai demain...

La porte refermée sur tous ces bruits conjugués au quotidien, j'inspecte avec reconnaissance ce gîte ancestral. C'est l'une des premières maisons ayant été construites sur l'île; la tradition écrite permet de la situer vers 1868. Encore aujourd'hui, elle respire les bonheurs d'autrefois, l'entraide et le goût de se bercer devant le poêle qui ronronne dans la cuisine et sent les galettes chaudes. On est à l'heure du thé. Anaïs nous dévoile sa recette de côtelettes d'agneau aux herbes salées.

Le Musée du Squelette étant fermé, nous reprenons le Chemin de l'île sans voir les ossements de nombreuses espèces de mammifères terrestres, marins et des oiseaux. En silence, pour ne pas me faire taquiner, je remercie le ciel qu'il en soit ainsi... je ne crains pas d'avouer que si j'adore les musées, celui-là n'est pas ma tasse de thé!

On se dirige vers la bergerie - dans notre hâte d'arriver on est bien en avance. C'est une vieille grange. À travers les planches ajourées, je vois un gros chien beige qui grogne à chacun de nos pas. On entend les bêlements de quelques brebis en convalescence à l'intérieur. La bergère va chercher son troupeau à la fin de la journée après avoir mangé tout leur saoul les herbes salées qui viendront donner tout l'arôme à la viande et aux fromages de la région comme une signature. J'aurais aimé me rendre aux pâturages aider la bergère à ramener son troupeau mais elle n'avait pas de bottes assez petites pour moi pour patauger dans les marais tour à tour inondés par la mer des grandes marées, puis soumis aux vents desséchants lors de la marée basse. Puis je la vois remonter la pente, un bouquet de lys d'eau à la main, frôlant d'un câlin la tête de son petit monde à quatre pattes.

Situées du côté nord de l'île, les Maisons du phare offrent huit chambres, réparties dans deux maisons, soit la maison du gardien et la maison de l'assistant gardien. C'est le premier phare érigé sur le fleuve Saint-Laurent. Première étape de la visite: la « cabane du criard » qui héberge l'exposition historique. Au menu: l'histoire du phare et de ses gardiens, l'évolution des signaux sonores et lumineux, les naufrages et échouements ainsi que divers aspects typiques à la situation géographique de l'île. Étape suivante: l'ascension de la tour de 17 mètres d'où on peut admirer l'ensemble de l'île ainsi que les paysages nord côtiers, incluant les dunes de sable de Tadoussac, et observer quelques baleines à l'occasion. À côté se trouve la petite maison des munitions, avec son toit rouge. Autrefois, on y conservait de quoi faire un feu les soirs de brume pour avertir les bateaux avec les moyens du bord, ou lancer une fusée de détresse.

Moi j'habite la maison du gardien. Il y a une cuisinette mais je préfère aller goûter à la cuisine de Ninon Latulippe. À La Belle Verte, un resto-bar en face du quai où accostent les traversiers, on peut prendre un repas (excellente pizza!) ou se procurer une boîte pique-nique énergétique, magique et bucolique. Les lampadaires font des ronds dans l'eau. Tout sourire, elle nous dit " faites comme chez vous " en secouant notre imperméable.

Puis je retournai au phare pour la nuit. Ambiance familiale, chaleureuse et rustique... un goût d'autrefois comme si on avait remonté le temps.

Toute la nuit les nuages avaient dormi, servant d'édredons aux animaux de petites fermes. J'avais moi-même dormi à poings fermés, bercée par le vent du large. Lorsque je poussai la fenêtre, jamais spectacle n'a été aussi ravissant. Une brise fit danser les rideaux de dentelles de ma chambre remplissant la pièce d'un parfum de joie de vivre. J'aurais souhaité en remplir des flacons et les distribuer à ceux qui doutent que le bonheur soit placé ci haut que l'on ne puisse jamais l'atteindre. Erreur! A l'île Verte il réchauffe toute solitude et vaut son pesant d'or. Le phare tient bon, gardien de la voie fluviale depuis 1809. Ce matin, il me souhaite une bonne journée. Le déjeuner est servi dans la maison du gardien, du pain doré saupoudré de céréales. Jadis, c'était l'heure où le gardien allait se coucher.

À l'île Verte, on ne vit pas au même rythme; on ne vit pas de la même façon. Ce qu'on n'accepterait pas en ville, devient partie intégrante des petits bonheurs quotidiens. Ça sent le vrai, l'authentique avec un soupçon d'embrun et beaucoup de cordialité.

Premier phare du Bas-Canada, il a été mis en service en 1809. Six gardiens ont vu à son fonctionnement de 1809 à 1972. Du point de vue technologique, le phare est passé d'un système de « miroirs courbes » à l'électronique. Faisant face à l'embouchure du Saguenay, son point de vue est majestueux et l'amateur d'histoire y trouvera son compte. Les Maisons du Phare, 28-B, Chemin du Phare. (418) 898-2730. Ouvert de 10H00 à 12H00 et de 13H00 à 16H00

L'étude et l'observation des crânes et des squelettes d'animaux s'appelle l'ostéologie. On peut voir une importante collection ostéologique de mammifères marins, de mammifères terrestres, d'oiseaux et de reptiles dans un local aménagé par le chercheur Pierre-Henri Fontaine, sur le chemin de l'île, à 2 km à l'ouest du quai de l'île. La collection est le fruit de plusieurs années de recherche au Québec et aux quatre coins du globe. Elle représente une importante contribution à la biologie. Chemin de l'île. Ouvert de 9H00 à 12H00 et de 13H00 à 17H00.

À l'Île Verte, sur le Chemin de l'Île, une ancienne école de rang est toujours ouverte pour l'enseignement. Cependant, c'est pour faire l'enseignement du mode de vie insulaire, du patrimoine, de l'histoire du commerce et des moyens de transport des habitants de l'Île Verte. On y trouve aussi des souvenirs de l'île que l'on peut acheter. Ouvert de 9H00 à 18H00